mardi 4 novembre 2014

Portrait de famille

Vous connaissez déjà Donnise, notre maman haïtienne, je vous en parle souvent. Elle nous cuisine de savoureux petits plats, s’inquiète huit fois par jour de l’état de notre digestion ou de celui de nos vêtements, et si on la laissait faire, elle laverait elle-même nos petites culottes à la main. Oh, ai-je dit si on la laissait faire? Parlez-en à Catherine, encore sous le choc de notre première lessive: Donnise lui avait arraché des mains sa pauvre vieille paire de bobettes beiges qui en avaient vu d’autres, mais qui n’avaient sûrement jamais subi frottage aussi vigoureux. Notre refus de la laisser laver nos sous-vêtements l’attriste beaucoup: «je ne suis pas votre amie». On a bien essayé de lui expliquer que nos amies ne lavent généralement pas nos petites culottes, et surtout pas à la main, mais en vain.

Il y a la belle Amandine, la cousine de Donnise, qui ne comprend pas pourquoi nous sommes contrariées quand les jeunes hommes haïtiens nous soufflent de juteux baisers en guise de salutation. Il faut dire que les explications de Catherine, qui tentait de s’exprimer de la façon la plus simple possible pour vaincre la barrière de la langue, sont sorties de façon un peu étrange: «c’est parce qu’on ne connaît pas les garçons.» Voilà, Amandine est maintenant convaincue que Catherine et moi n’avons jamais vu de garçons de notre vie.

Amandine est la maman d’Evens, trois ans, qui trône au sommet du palmarès des êtres les plus adorables de Lhomond et probablement d’Haïti tout entière. Evens aime plus que tout se faire photographier («Fè foto mwen!») et regarder des photos sur nos ordinateurs. Il nous décrit précisément chacune des images: «ça est Donnise, ça est Catherine, ça est Junaya.» Junaya, c’est moi, Donnise a beau lui répéter Ju-lia-na, Evens répète consciencieusement: «Ju-na-ya».

Comme Evens adore regarder des photos, il revoit souvent les mêmes. Il y en a une où je grimpe sur des rochers, un guide haïtien en arrière-plan. À chaque fois qu’Evens voit cette image, il lance invariablement: «ça est Junaya ak un Nèg!». Bon, il faut savoir qu’en créole, Nèg n’est pas un mot péjoratif, cela signifie simplement Noir, mais ça ne m’empêche pas de m’écrouler de rire chaque fois qu’Evens nous pointe des «Nèg» sur les photos.

Evens mijote généralement ses mauvais coups avec ses cousines Santiara et Junou, véritable trio de mousquetaires pas de bobettes qui gambadent du matin au soir d’un bout à l’autre de la maison en chantant gaiement des comptines de la garderie, les fesses à l’air et le coeur joyeux. Nous connaissons nous aussi à présent les paroles de toutes leurs chansons, et fantasmons sur une version heavy metal de «Donne-donne-moi la main».

Juste en bas de chez nous habite le vieux Papy Lucien, grand-papa de Donnise et Amandine, toujours au poste sur la galerie pour voir passer le temps qui passe. De l’autre côté de la rue c’est Hènise, soeur d’Amandine, cousine de Donnise, mère de Santiara et négociatrice en chef de nos expéditions commerciales au marché de Lhomond.

En plus de tout ça, plusieurs de nos élèves se trouvent à être des parents plus ou moins éloignés de nos hôtes. Il n’est donc pas rare de se réveiller par un beau samedi matin et d’apercevoir un ou deux jeunes de l’école nonchalamment appuyés au cadre de porte de notre chambre en train de nous regarder dormir. La plupart du temps, c’est Herby et Edens, mais je suis habituée maintenant, ils m’observent aussi quand je me lave les cheveux dans la cour ou que je m’épile les jambes à la cire sur la galerie. Bah, de toutes façons, l’intimité, c’est complètement dépassé.


Nous avons aussi un chien, deux chats, trois cochons, pas de souris verte, des poules, des coqs, des poulets et des pigeons. Y’a du monde à messe, mais la porte est toujours ouverte.

PS Vous aurez reconnu Evens dans toute sa splendeur sur le portrait en haut de page. La photo est de Catherine, qui tient aussi un savoureux blogue, que je vous invite à découvrir:

http://cathcw.wordpress.com/

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