mercredi 31 décembre 2014

Chez nous

Je voulais d'abord m'excuser, car j'ai bien peur d'être responsable de ce Noël sous la flotte: une dépression en provenance du sud qui s'abat sur le Québec. C'est que j'avais le coeur gros de quitter Haïti, chers amis. Le coeur gros de partir d'un endroit qui était devenu chez nous.

Chez nous, les balades dans la splendide campagne haïtienne, le petit muret qui protège la plantation de papayes, le terrain de soccer où broutent les vaches et les chevaux, les champs de mahi ondulant dans le soleil de fin d'après-midi. Chez nous les chants puissants qui s'échappent des fenêtres de l'église le dimanche matin. Chez nous les enfants impeccables dans leur uniforme, en route pour l'école, tous les matins, les rubans jaunes voltigeant dans les cheveux des petites filles. Chez nous la Prestige le jeudi soir sous le grand arbre dans la cour d'école, le chant du coq qui nous tire du lit aux premières lueurs de l'aube, les petites vieilles en route pour le marché, confortablement installées sur le dos d'un âne. C'était ma vie depuis trois mois et maintenant ce ne le sera plus, je suis rentrée dans l'autre chez nous.

Les professeurs avaient organisé une fête la veille de notre départ, et le tout Lhomond s'y est présenté (certains étaient même à l'heure), en tenue de gala s'il-vous-plaît. Kimberley et Maga, mes deux préférées de la maternelle (deux petites malcommodes particulièrement brillantes, nous avons des affinités), avaient presque l'air sages dans leurs belles robes blanches.

Bernard, le coordonnateur de Mouvman peyizan Lomon, qui porte l'école à bout de bras depuis 15 ans, a profité de la fête pour livrer un émouvant discours où il remerciait tous ceux qui avaient contribué à rendre notre séjour possible... et agréable:

Merci à Guylaine, qui vendait de la Prestige à Catherine et Juliana. Catherine et Juliana aiment énormément la bière, elles aiment vraiment beaucoup l'alcool, alors merci Guylaine, une chance que tu étais là pour les fournir.

Bon. Et afin de s'assurer que vraiment personne ne puisse douter de notre alcoolisme rampant, Bernard nous a remis devant tous une énorme pièce d'artisanat: une grosse bouteille de bois à l'effigie du rhum Barbancourt, moi qui avais justement du lousse dans mes valises.

On a quitté l'école, on a quitté les enfants, on a quitté les profs. On a quitté Donnise, Amandine et Evans, Ènise et Santiara. On a quitté les larmes aux yeux, mais le sourire aux lèvres parce que Bernard a eu la bonne idée de ramener une dinde à Port-au-Prince (vivante, pour les naïfs qui avaient des doutes).

On a quitté ce beau pays rempli de gens magnifiques, atterri à Fort Lauderdale pour une escale, sous le choc devant cet éléphantesque gaspillage d'électricité pour illuminer le moindre terrain de basket-ball vide, assez d'énergie pour alimenter Lhomond au complet pendant un an.

Quelques heures plus tard j'ai quitté ma rousse et fabuleuse (l'un ne va pas sans l'autre, comme elle vous le dirait elle-même) collègue et amie Catherine, complice incroyable de ce périple haïtien.

Ça fait beaucoup à quitter, mais ça fera beaucoup à retrouver, je suis convaincue que je retournerai un jour en Haïti, si Dieu veut, comme on dit là-bas. Ne vous en faites pas zanmi mwen, Dieu va vouloir, je suis certaine.

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