Timoun yo Ayiti
mardi 27 janvier 2015
mercredi 31 décembre 2014
Chez nous
Je voulais d'abord m'excuser, car j'ai bien peur d'être responsable de ce Noël sous la flotte: une dépression en provenance du sud qui s'abat sur le Québec. C'est que j'avais le coeur gros de quitter Haïti, chers amis. Le coeur gros de partir d'un endroit qui était devenu chez nous.
Chez nous, les balades dans la splendide campagne haïtienne, le petit muret qui protège la plantation de papayes, le terrain de soccer où broutent les vaches et les chevaux, les champs de mahi ondulant dans le soleil de fin d'après-midi. Chez nous les chants puissants qui s'échappent des fenêtres de l'église le dimanche matin. Chez nous les enfants impeccables dans leur uniforme, en route pour l'école, tous les matins, les rubans jaunes voltigeant dans les cheveux des petites filles. Chez nous la Prestige le jeudi soir sous le grand arbre dans la cour d'école, le chant du coq qui nous tire du lit aux premières lueurs de l'aube, les petites vieilles en route pour le marché, confortablement installées sur le dos d'un âne. C'était ma vie depuis trois mois et maintenant ce ne le sera plus, je suis rentrée dans l'autre chez nous.
Les professeurs avaient organisé une fête la veille de notre départ, et le tout Lhomond s'y est présenté (certains étaient même à l'heure), en tenue de gala s'il-vous-plaît. Kimberley et Maga, mes deux préférées de la maternelle (deux petites malcommodes particulièrement brillantes, nous avons des affinités), avaient presque l'air sages dans leurs belles robes blanches.
Bernard, le coordonnateur de Mouvman peyizan Lomon, qui porte l'école à bout de bras depuis 15 ans, a profité de la fête pour livrer un émouvant discours où il remerciait tous ceux qui avaient contribué à rendre notre séjour possible... et agréable:
Merci à Guylaine, qui vendait de la Prestige à Catherine et Juliana. Catherine et Juliana aiment énormément la bière, elles aiment vraiment beaucoup l'alcool, alors merci Guylaine, une chance que tu étais là pour les fournir.
Bon. Et afin de s'assurer que vraiment personne ne puisse douter de notre alcoolisme rampant, Bernard nous a remis devant tous une énorme pièce d'artisanat: une grosse bouteille de bois à l'effigie du rhum Barbancourt, moi qui avais justement du lousse dans mes valises.
On a quitté l'école, on a quitté les enfants, on a quitté les profs. On a quitté Donnise, Amandine et Evans, Ènise et Santiara. On a quitté les larmes aux yeux, mais le sourire aux lèvres parce que Bernard a eu la bonne idée de ramener une dinde à Port-au-Prince (vivante, pour les naïfs qui avaient des doutes).
On a quitté ce beau pays rempli de gens magnifiques, atterri à Fort Lauderdale pour une escale, sous le choc devant cet éléphantesque gaspillage d'électricité pour illuminer le moindre terrain de basket-ball vide, assez d'énergie pour alimenter Lhomond au complet pendant un an.
Quelques heures plus tard j'ai quitté ma rousse et fabuleuse (l'un ne va pas sans l'autre, comme elle vous le dirait elle-même) collègue et amie Catherine, complice incroyable de ce périple haïtien.
Ça fait beaucoup à quitter, mais ça fera beaucoup à retrouver, je suis convaincue que je retournerai un jour en Haïti, si Dieu veut, comme on dit là-bas. Ne vous en faites pas zanmi mwen, Dieu va vouloir, je suis certaine.
mardi 16 décembre 2014
L'hiver approche
Oui, oui, c’est dur à croire, mais ici aussi.
Depuis quelques semaines, il y a une petite brise. Je peux marcher sous le
soleil sans avoir l’air d’un cornet de crème glacée à la vanille oublié sur une
table à pique-nique. Donnise s’est enroulée dans son coton ouaté et garde les
portes de la maison fermée. Les motocyclistes exagèrent franchement avec leurs
manteaux d’habit de neige. Et moi, je l’avoue, depuis deux semaines, je dors
avec mon polar. Pire encore : je me suis pris un deuxième drap, faute de
couverture, et si j’avais des bas de laine, je les enfilerais avec joie.
Catherine est médusée :
Veux-tu ben me dire comment tu
faisais pour survivre dans le Grand Nord toi ?
Surprenant, en effet. Je pense que je m’haïtiennise.
Bon, je vous entends
déjà vous plaindre que c’est bien pire chez vous, que vous avez eu de la neige
et même que la température a chuté déjà jusqu’à -20. Ben oui, je suis au
courant, peu importe où je me trouve dans le monde, quand c’est l’hiver, il y a
toujours quelqu’un pour m’informer de la quantité de neige tombée et du degré
exact de la température qui chute sous zéro.
L’hiver en Haïti, ça
veut aussi dire que les avocats se raréfient, ô, quelle tristesse ! Finie
cette époque insouciante où il y en avait sur la table à tous les repas, et que
notre principale inquiétude à leur sujet était de ne pas arriver à tous les
manger avant qu’ils ne pourrissent. À présent, on les cherche avec angoisse
dans tous les étals du marché, et on est heureuses quand on en trouve deux
petits maigrichons.
Le temps a passé,
c’est inéluctable. Evens arrive maintenant à prononcer mon nom correctement. Ça
m’attriste un peu, j’aimais ça, moi, Junaya. Les chats et le chien ont
engraissé de façon spectaculaire, et comme par hasard, ils sont toujours tous
trois postés autour de ma chaise à l’heure des repas. J’ai aussi tissé des
liens avec d’autres membres de la communauté animale de Lhomond, comme en
témoigne la photo ci-haut. Inutile de vous préciser que tout le village a parlé
pendant des jours de ma promenade à dos de bourik,
je pense que personne à Lhomond n’avait jamais rien vu d’aussi drôle qu’une
Blanche sur le dos d’un âne, surtout quand la Blanche en question passait son
temps à flatter sa tite bourik la
dans le cou.
Le temps a passé, le
palmarès des meilleurs noms d’églises, de taps-taps
et de commerces s’est allongé : le Marie-Madeleine
car wash, le Coiffeur des Fanatiques,
la Noune Boutique (pour vos achats de
Noël). On a appris à danser le kompa
aussi bien que Martelly. (Le président d’Haïti, Michel Martelly, est une
ex-vedette de la chanson aux allures de mauvais garçon. Bref, c’est un peu
comme si Éric Lapointe devenait premier ministre du Québec. Qui sait, si PKP
est élu, il nommera peut-être son coach
de La Voix au cabinet.)
Le temps a passé, on a
peaufiné notre créole, on a bu anpil
Prestige, on s’est fait des amis, on a eu envie d’adopter 10 enfants, on a eu
chaud, on a réussi à avoir froid des fois, on a pogné les nerfs, on a pogné le motton, on a pogné des coups de soleil,
on a bronzé, on a mangé assez de riz pour le reste de notre vie, on a dansé
comme des Haïtiennes, on a vu de grosses tarentules, on a partagé notre salle
de bains avec des crapauds, on a filé à vive allure à moto sur les routes qui
serpentent dans la montagne, on a amélioré notre tolérance aux piments, on
a aimé ce pays, profondément, on a aimé les gens, de tout notre cœur.
Le temps a passé, c’est
inéluctable, il faudra rentrer bientôt, il faudra rentrer demain. Demain qui
vient toujours un peu trop vite, comme on l’a chanté l’autre soir avec notre
Joe Dassin haïtien, qui plaquait maladroitement les trois mêmes accords sur sa
guitare qui avait bien besoin d’être accordée, mais on s’en fout, chanter du
Joe Dassin sous les palmiers en regardant le soleil descendre sur les montagnes
haïtiennes, ça vaut bien une ou deux fausses notes.
vendredi 5 décembre 2014
Comment construire une bibliothèque (Pas un meuble Ikéa)
1. Vous devez d’abord harceler gentiment votre famille et vos amis
québécois afin qu’ils vous envoient des livres dans le fin fond de votre
village de brousse haïtienne. Comme le système de
poste haïtien n’est pas particulièrement reconnu pour sa fiabilité, vous dites
à vos amis de poster leurs livres chez le directeur de l’organisme qui finance
votre école, en Floride. Celui-ci doit alors consentir à transporter tout ce bagay lors de son prochain voyage en
Haïti.
2. Comme vos amis qui ont gentiment accepté de garnir les rayons de
votre bibliothèque ont eu de la difficulté à trouver des livres en créole au
Québec, vous devez trouver une façon de vous en
procurer pour que les enfants aient aussi de quoi lire dans leur langue
maternelle. Rien de plus facile : ouvrez les armoires dans le bureau du
directeur et trouvez-y justement plus de 200 livres qui ramassent la poussière
pendant qu’on se plaint partout du manque de ressources. Dépoussiérez les
livres et ajoutez-les à votre collection.
3. Transformez votre chambre en entrepôt et étalez les livres partout
où il y a de la place : dans le garde-robe, sur les lits, sur le plancher,
sur votre valise, sur le chat. Passez votre fin de semaine à élaborer un
système de classement et à numéroter chacun des livres pendant que les enfants
du voisinage gambadent dans la pièce en bobettes.
Restez concentré.
4. Trouvez vos matériaux de construction. Fabriquez des étagères à
l’aide de vieilles briques de ciment qui traînent dans la cour d’école (prenez
soin de vérifier qu’aucune charmante bestiole velue ne s’y trouve) et de
planches que vous aurez extirpées du débarras à vos risques et périls dans une
version grandeur nature de Tétris.
5. Lavez les planches au puits. Installez-les sur les briques et
solidifiez le tout avec de vieilles ardoises.
6. Rangez les livres sur les tablettes selon votre ingénieux système de
classement, indiquez le titre de chacune de vos sections et affichez les règlements
en français epi nan kreyol.
7. Utilisez vos livres pour des activités pédagogiques avec les élèves.
Par exemple : pourquoi ne pas raconter l’histoire Bout ke Lilit dans votre meilleur créole aux enfants de première
année ? Bout ke, ça veut dire bout
de queue. C’est l’histoire de Lilit,
un dinosaure jaloux de son ami qui a une plus grosse queue que la sienne.
Catherine se demandait quelle était la signification de Lilit. On a cherché dans le magnifique dictionnaire
français-haïtien qu’on a acheté à Port-au-Prince grâce à la générosité de nos
amis, qui ont aussi envoyé des sous. Ça veut dire petit pénis. On a changé
d’histoire.
mercredi 26 novembre 2014
La liberté ou la mort
On devait participer à un colloque à Cap-Haïtien, deuxième ville
d’Haïti, tout au nord du pays. D’ailleurs, les Haïtiens appellent cette région
le Grand Nord, et je manque chaque fois de m’étouffer dans mon eau de coco. Ce
Grand Nord a toutefois de quoi réveiller les fantasmes de bien des
Québécois : c’est là qu’Haïti a obtenu son indépendance, devenant en 1804
la première république noire au monde.
En 1789, forts de leur
Révolution, les Français ont proclamé la Déclaration des droits de l’homme à
grands coups de liberté, égalité, fraternité, mais comme l’a si bien dit George
Orwell, certains sont plus égaux que d’autres. Ainsi, pas question que la
France ne reconnaisse les droits des centaines de milliers d’esclaves qui se
tuaient littéralement à la tâche dans ses plantations en Haïti.
Qu’importe, les
Haïtiens n’ont pas attendu qu’on leur donne leur liberté pour la prendre.
Affrontant Napoléon et la plus redoutable armée d’Europe, ils ont vaincu la
force coloniale grâce à une brillante stratégie, un combat acharné et un peu
d’aide providentielle de la fièvre jaune (dixit Jonathan M. Katz : The Big Truck that went by, How the world
came to save Haiti and left behind a disaster).
La bataille décisive a
eu lieu à Verretières, près de Cap-Haïtien, le 18 novembre 1803. Deux ans après
la proclamation de l’indépendance, le 1er janvier 1804, Haïti s’est
scindée en deux : le royaume du nord, sous la gouverne du roi Christophe,
et la république du sud, dirigée par Alexandre Pétion.
Le roi Christophe,
fabuleux personnage, a légué tout un héritage à son pays. Craignant le retour
des Français, il fit construire de quoi se défendre à Milot, petit village
blotti au creux des montagnes : le Palais Sans Souci et la Citadelle
Laferrière, tous deux aujourd’hui sur la prestigieuse liste du Patrimoine
mondial de l’UNESCO.
Même s’il fut
gravement endommagé lors du tremblement de terre de 1842, le Palais n’a rien perdu de sa splendeur.
Quant à la Citadelle, elle est tout simplement à couper le souffle. Dans tous
les sens du terme : pour s’y rendre, il faut grimper deux heures dans la
montagne, sous le chaud soleil haïtien. À notre arrivée, je me suis laissée choir
dans le seul coin d’ombre disponible : en arrière des glacières des
vendeuses de boisson. Celles-ci ont poussé la gentillesse jusqu’à m’épousseter
les fesses quand je me suis finalement relevée, couverte de terre. Encore un
grand moment de grâce de Juliana en Haïti.
On visite les lieux
avec Maurice Étienne, notre merveilleux guide, qui connaît tous les secrets de
la Citadelle et ceux du roi Christophe. Ce fier guerrier avait installé des
canons destinés à faire exploser la Citadelle dans l’éventualité où elle aurait
été prise par les Français, parce que pour le roi, le choix était clair :
«la liberté ou la mort».
Et ils ont gagné leur
liberté, les Haïtiens. On s’attarde souvent à décrire la misère du pays, mais
j’aimerais tant que le monde entier voit la force de son peuple, son
ingéniosité et son courage, j’aimerais que le monde entier voit la Citadelle
Laferrière, j’aimerais saluer ceux dont les ancêtres ont été les premiers
esclaves du monde à s’affranchir de leurs maîtres.
Après notre visite, toujours
au sommet de la montagne, on a bu une bonne Prestige à la santé de Christophe
et d’Haïti. Les Haïtiens, ils l’ont durement gagné leur pèyi nou.
PS Pour la petite
histoire : Après la mort du roi Christophe, la France a exigé en 1825 du
président Boyer qu’Haïti lui rembourse l’équivalent de 21 milliards en dollars
d’aujourd’hui pour compenser la perte de sa lucrative colonie. Il a fallu
attendre 1947 pour qu’Haïti ait enfin fini de rembourser sa «dette», mais les
conséquences de ce paiement se font encore sentir aujourd’hui : le pays a
cruellement manqué d’argent pour investir dans ses propres infrastructures et
développer le pays. Heille la France, quand est-ce que tu vas remettre les 21
milliards que tu dois aux Haïtiens ?
mercredi 19 novembre 2014
Quelques petites choses à savoir si vous venez un jour enseigner à Lhomond
C’est bien connu, il faut reculer l’heure
dans la nuit du samedi au premier dimanche de novembre. Le lundi suivant, même
si l’école commence à 8 heures, présentez-vous à 7 puisque la totalité des
élèves en feront autant. Les enseignants vous diront alors qu’ils ont commencé
plus tôt pour aviser les élèves qui avaient oublié de changer l’heure et que le
retour à la normale se fera le lendemain. Le mardi matin, soyez au poste à
7h30, car le changement d’heure doit se faire «progressivement». Le mercredi,
inutile de prendre vos précautions et d’arriver plus tôt puisque la rentrée se
fera à 8h30, histoire de rattraper le temps effectué en trop les deux autres jours.
Mais le jeudi, venez à 7h30, car selon la mystérieuse logique haïtienne, le
changement d’heure se fait à la fois de façon progressive ET régressive. Le
vendredi, déclarez forfait et pointez-vous à l’heure qui vous plaît, car vous
ne comprendrez jamais le processus de toutes façons.
La pluie
En cas de forte pluie,
la moitié des élèves de l’école seront absents. Quant à l’autre moitié, ils
seront encore plus excités que des petits Québécois à la veille d’une tempête
de neige. Ne prévoyez donc rien de trop important un jour de pluie. Sachez
aussi que si vous osez sortir sous deux ou trois gouttelettes, le tout Lhomond
vous pressera de rentrer chez vous comme si 12 psychopathes armés de kalachnikovs rôdaient dans le village.
Devant tant d’inquiétude, nous nous contentons de sourire et de scander :
«On n’est pas faits en chocolat !» Ah oups, mauvais slogan.
Les contes pour enfants
Si vous lisez un livre
avec les enfants, choisissez de préférence une histoire mettant en vedette des
animaux, comme Les trois petits cochons.
Ainsi, lorsque vous demanderez aux élèves qui a un cochon à la maison, la
totalité de la classe lèvera la main. De plus, prenez la peine de vous
installer dans la cour, près de la route, pour lire le livre. Si vous êtes
chanceux, au moment de parler de la maison de paille du premier cochon, un âne
passera sur le chemin en transportant un énorme chargement de ladite paille.
C’est vrai qu’il manque de ressources ici. Mais quelle école du Québec peut se
vanter d’offrir Les trois petits cochons en
version aussi interactive ?
Le marché
Une fois vos courses
terminées, n’oubliez pas de vous changer avant de retourner à l’école. Cela
vous évitera de sentir le vieux fond de tonne devant les enfants parce
qu’évidemment, la moitié de la bouteille de Clairin achetée par Ènise aura
coulé sur vos vêtements lors du voyage de retour en moto.
Des nouvelles du palmarès
Deux nouvelles entrées
en ce qui concerne les meilleurs noms d’églises, de tap-taps et de commerces. Il me fait plaisir de partager avec vous l’Église du Christ du tabernacle de la grâce (à ne pas confondre avec l’Église de la tabarnak de grosse crisse) et
la pharmacie Christ est ma réponse.
Mention spéciale également à deux savoureux noms de ville du nord
d’Haïti : qui ne voudrait pas visiter Trou-du-Nord ou, comme nous, tomber en panne à Carrefour-La Mort ? Ça aurait fait un magnifique scénario de film d'horreur: quatre amis tombent en panne sur une route de campagne, le soir. Les deux garçons partent chercher de l'aide et laissent les filles toutes seules. Carrefour La Mort, sortie prévue en novembre 2014.
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